Commun numérique, bien commun numérique, ou (bien) commun (numérique) de connaissance ?

Démêlons les définitions !

Un flou règne dans les définitions et les termes pour désigner le résultat d’une création de connaissances sur le web par des internautes amateurs ou passionnés organisés à cette fin. Cet article vise à synthétiser différentes sources.

Si Hess et Olstrom ont théorisé la notion de « commun de connaissance » en 2007, Potts parle de « commun d’innovation » (en 2018), quand d’autres auteurs parlent de « commun numérique », ou même de « commun informationnel » (Jullien et Roudaut 2020).

Au commencement, Elinor Olstrom

La notion de communs a été théorisée par Elinor Olstrom à partir de la tragédie des communs décrite par l’écologue Garett Hardin en 1968 : cette information fait consensus dans toutes les sources consultées (Coriat 2015 ; Hardin, 2018 ; Hess et Ostrom, 2007 ; Clément-Fontaine et al., 2021).

Olstrom définit huit principes de gouvernance qui peuvent s’appliquer aux communs, qu’ils soient numériques ou non (Le Crosnier 2018) :

• des groupes aux frontières définies ;
• des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux besoins et aux spécificités locales ;
• la capacité des individus concernés à modifier ces règles ;
• le respect de ces règles par les autorités extérieures ;
• le contrôle du respect des règles par la communauté ;
• un système de sanctions graduées ;
• l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
• une résolution des conflits et les activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées.

Nous retrouvons tous ces principes de gouvernance parmi les projets Wikimédia.

Une différence entre commun et bien commun ?

Dans son article intitulé Une introduction aux communs de la connaissance, Hervé Le Crosnier souligne qu’il « Il apparaît difficile d’avoir une définition canonique des communs », en raison de différences d’interprétations (Le Crosnier, 2018).

Benjamin Coriat, qui a dirigé l’ouvrage intitulé Le retour des communs en 2015, propose de différencier communs et biens communs sur la base de l’existence d’un système de répartition des droits et d’une structure de gouvernance. Selon cette définition :

• Les logiciels libres et les wikis sont des communs, car ils sont régis par des licences de droits spécifiques (Creative Commons, etc…) et disposent de structures de gouvernance (Wikimedia Foundation, Linux Foundation, etc…)
• L’air, les océans, la plupart des fleuves et des forêts, sont des biens communs : ils sont partagés, mais il n’ont pas de licence de droit d’usage spécifique et/ou de structure de gouvernance.

Dans son article de 2018, Le Crosnier n’effectue pas cette distinction, mais souligne que « Dire les « biens communs » renvoie principalement à l’approche économique, centrée sur la ressource et sa propriété » (Le Crosnier 2018). Sa définition diffère à ce titre radicalement de celle de Coriat.

La différence potentielle entre communs et biens communs n’apparaît donc pas claire, en raison de ces divergences d’interprétations.

Une différence entre commun et commun numérique / informationnel / de connaissance ?

La différence entre un commun et un commun numérique / informationnel / de connaissance semble au contraire consensuelle dans toutes les sources consultées, qui insistent sur le fait que les communs numériques sont non-rivaux. Ainsi, pour Clément-Fontaine et al., qui fournissent une bonne définition synthétique, les communs numériques sont des biens ou des ressources « qui diffèrent fondamentalement des communs naturels ou fonciers, ne serait-ce que par le fait qu’ils se rapportent à des ressources immatérielles, intangibles à l’égard desquelles les attributs originels des communs comme l’exclusivité, ne semblent pas ou mal s’appliquer » (Clément-Fontaine et al. 2021).

Le Crosnier souligne l’importance des licences de publication sur internet (Creative Commons et GFDL) dans la définition des communs numériques. Lionel Maurel reprend la définition du commun numérique fournie par Le Crosnier (Maurel 2018).

Une différence entre communs numériques et communs de connaissances ?

Elinor Olstrom a développé la notion de communs de connaissance (Knowledge Commons) tardivement dans sa carrière, dans un chapitre et un ouvrage co-écrits avec Charlotte Hess, et parus en 2007 (Hess et Ostrom 2007). Le Crosnier cite le juriste James Boyle en tant qu’auteur du « premier ouvrage concernant les communs de la connaissance », en 2008, intitulé The Public Domain (Le Crosnier, 2018).

Clément-Fontaine et al soulignent une proximité entre la notion de communs numériques et celle de communs de la connaissance décrite par Hess et Ostrom (et reprise par Le Crosnier en 2018), postulant qu’ils puissent être « un sous-ensemble de ces derniers, caractérisés par une production et une distribution indissociables des technologies numériques et une absence de rareté et d’épuisement propres aux ressources tangibles » (Clément-Fontaine et al. 2021).

Jullien et Roudaut décrivent un commun numérique de connaissance comme « un système socio-technique de production de connaissances nouvelles », non-rivales, généralement en ligne. (Jullien et Roudaut 2020). Cette définition paraît compatible avec l’idée de faire des communs (numériques) de connaissance un sous-ensemble des communs numériques.

En résumé, les communs numériques de connaissance, dont font partie les projets Wikimédia, peuvent être définis comme un sous-ensemble de communs numériques (caractérisé par la production de connaissances), qui est lui-même un sous-ensemble de communs (caractérisé par la non-rivalité).

Communs numériques de connaissance ⊆ Communs numériques ⊆ Communs

Garder la notion de « Commun numérique de connaissances » telle que caractérisée par Jullien & Roudaut en 2020, plutôt que d’employer les notions de « commun d’innovation » ou de « commun informationnel », a l’avantage de signaler clairement son appartenance à l’ensemble plus vaste des communs numériques.

Bibliographie

• Clément-Fontaine, M., Dulong de Rosnay, M., Jullien, N. & Zimmermann, J. B. (2021), Communs numériques : une nouvelle forme d’action collective ?. Terminal, 130
• Coriat, B. (2015). Le retour des communs: & la crise de l’idéologie propriétaire. Éditions Les liens qui libèrent.
• Hardin, G. (2018), La tragédie des communs, Paris, PUF
• Hess, C., Ostrom, E. (2007). Introduction: An Overview of the Knowledge Commons, in Hess, C., Ostrom, E. (eds), Understanding Knowledge as a Commons. From Theory to Practice, 3-26.
• Jullien, N. & Roudaut, K. (2020). Commun numérique de connaissance : définition et conditions d’existence. Innovations, 63, 69-93. 
• Le Crosnier, H. (2018). Communs numériques et communs de la connaissance, Tic & société, 12(1), 1-12
• Le Crosnier, H. (2018). Une introduction aux communs de la connaissance. Tic & société, 12(1), 13-41.
• Maurel, L. (2018). Les Communs numériques sont-ils condamnés à devenir des “Communs du Capital”? In 6ème rencontres du GESS.

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