Noblesse et pureté équine : du Lipizzan au Shagya

S’il est un adjectif souvent accolé aux chevaux, et surtout à ceux dits « de race », c’est l’adjectif « noble ». La question de savoir si la sélection des chevaux est indépendante de toute subjectivité humaine trouve une réponse depuis très longtemps. C’est, entre autres, le sujet de l’ouvrage dirigé par Kristen Guest et Monica Mattfeld, Horse Breeds and Human Society Purity, Identity and the Making of the Modern Horse.

Le chapitre de Donna Landry intitulé Habsburg Lipizzaners, English Thoroughbreds and the Paradoxes of Purity détaille de nombreux paradoxes associés à la notion de pureté chez le cheval. Elle cite les exemples du Pur-sang (Thoroughbred, en anglais) et du Lipizzan, deux races de chevaux décrites à l’envi comme « pures » et « nobles », alors qu’elles résultent de très nombreux croisements pratiqués dans des haras d’éleveurs très aisés, à partir d’ancêtres turcs, arabes, barbes et espagnols. Elle met également en lumière l’importance des enregistrements écrits de pedigree dans cette perception de pureté raciale :

The modern definition of equine breed emerges from practices of record-keeping that confirm the reliability of its pedigrees

La définition moderne de la race équine découle de pratiques d’enregistrement qui confirment la fiabilité des pedigrees.

Dona Landry, Habsburg Lipizzaners, English Thoroughbreds and the Paradoxes of Purity, 2020

Autrement dit, accoler des adjectifs tels que « noble » et « pur » à un cheval, ou bien à une race de chevaux, découle beaucoup moins des qualités intrinsèques de cette population équine que du regard que l’être humain pose sur elle, et sur la liste de ses prestigieux (ou non) ancêtres.

Le Lipizzan n’est-il pas immédiatement anobli lorsqu’il est présenté impeccablement toiletté, dans le manège d’hiver de l’école espagnole de Vienne qu’affectionnaient les Habsbourg ?

Les enregistrements généalogiques du Lipizzan montrent une organisation en lignées, les descendants des fondateurs de lignée se trouvant assortis d’un numéro (par exemple, Neapolitano XXIX – 18 descend du fondateur Neapolitano). Voilà qui rappelle exactement les généalogies royales.

En plus du Lipizzan, qui reste la plus connue des races de chevaux sélectionnées sous l’Empire d’Autriche puis l’Autriche-Hongrie, le Shagya est un autre exemple de sélection chevaline dans les grands haras austro-hongrois, avec un système de lignées mâles et de numéro. Sous les Habsbourg, le Shagya ne porte pas encore ce nom. Le Shagya est issu de croisements, avec une grande majorité d’origines arabes ; il est à l’époque simplement nommé « race arabe ». En dépit de sa sélection prestigieuse, il ne sera jamais reconnu comme un… « pur-sang » arabe. Les enregistrements de pedigree à son haras d’origine, celui de Bábolna, différencient le pur arabe, doté de papiers écrits à l’encre verte, des chevaux qualifiés dans divers documents d’époque de « demi-sang » arabe. Le papier du demi-sang arabe est écrit à l’encre bleue, et ce même quand l’impureté en question consiste en un seizième d’ancêtres ibériques, hongrois ou Nonius :

Les documents de l’Internationalen Shagya-Araber Gesellschaft e.V (Association internationale de l’Arabe Shagya), basée en Allemagne, soulignent à quel point il était important pour la World Arabian Horse Organization (Organisation mondiale du cheval arabe, WAHO) de distinguer la race qui sera connue sous le nom d’Arabe Shagya ou de Shagya, d’un « Pur-sang arabe ». Une distinction qui repose essentiellement sur… la généalogie.

Bibliographie

• Kristen Guest et Monica Mattfeld, Horse Breeds and Human Society: Purity, Identity and the Making of the Modern Horse, Routledge, 26 novembre 2019 (ISBN 978-0-429-65692-7, lire en ligne).
•  Klaus-Dieter Gotzner (photogr. Bruno Furrer), Zur Geschichte der Internationalen Shagya-Araber Gesellschaft e.V [« À propos de l’histoire de l’Association internationale Société Arabe Shagya e.V. »], Schöllkrippen, Internationalen Shagya-Araber Gesellschaft e.V, 2008 (lire en ligne [PDF]). 

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