façon Wikimédia

Depuis les débuts de ma thèse CIFRE en sciences de l’information et de la communication, je travaille sur les communs numériques de l’écosystème Wikimédia. Il s’agit de mettre à l’épreuve l’hypothèse d’une gestion de l’information généalogique plus souple et aboutie dans une base de connaissances structurée à partir de triplets RDF et dans un environnement publié et diffusé sous des licences libres, que dans des environnements propriétaires structurés sous une forme plus classique. Il est en effet possible de créer et de gérer l’ontologie indispensable à ce travail généalogique directement dans Wikidata.

Pour cette thèse en sciences de l’information et de la communication, il me fallait une étude de cas. Ce sera le Percheron !

Pourquoi le Percheron ?

L’exemple du Percheron est intéressant sur de nombreux aspects. Le premier, c’est qu’il existe des données anciennes publiées dans au moins deux langues, soit en français et en anglais. Cela imposait donc, dès la fin du XIX^e siècle, un partage d’information entre des éleveurs francophones et anglophones sans risquer de confondre deux chevaux entre eux. Cette contrainte a été brillamment résolue par la Société hippique percheronne de France dès 1883, en adoptant un identifiant unique créé par la combinaison des numéros d’identification français et américains :

De plus, le Percheron est la race de chevaux d’origine française la plus connue, et l’une des plus exportées à travers le monde. Elle rassemble une importante communauté de passionnés (ou d’amateurs, selon votre terminologie préférée) qui publient quantité d’ouvrages et d’articles à son sujet. Je pourrais citer notamment ceux de Jean-Léo Dugast : je me suis procurée le dernier.

Créer de nouvelles contraintes en information généalogique, mode d’emploi avec Wikidata

Wikidata permet de créer facilement de nouvelles contraintes de gestion d’information pertinentes en élevage équin, par exemple sur la base de la génétique des robes ou du standard racial.

L’exemple du Percheron est parfait pour le démontrer. Il n’existe que deux couleurs de robe autorisées chez les chevaux modernes : le gris et le noir. Wikidata permet de signaler automatiquement en erreur tout triplet d’une entrée relative à la propriété “couleur” d’un Percheron, dont la valeur renseignée ne serait ni le gris, ni le noir.

Wikidata permet aussi de créer de nouvelles contraintes basées sur les lois de la génétique des robes du cheval. Pour rester sur le gris et le noir, l’une de ces lois génétiques veut que tout cheval “gris” ait, sauf exception rarissime, au moins un parent gris lui-même. Wikidata permet de remonter en erreur tout cheval (Percheron ou non) qui serait enregistré “gris”, sans avoir de parent “gris”.

Cela peut permettre de repérer des parentés douteuses, ou de mauvais enregistrements de couleur de robe dans les sources d’informations antérieures.

Citation de moi-même, mise en exergue par moi-même

Le même avantage vaut pour la résolution des parentés sur la base de sources d’informations contradictoires. Au contraire d’une base de données généalogiques classique (non RDF), Wikidata permet de renseigner deux parents potentiels pour un même cheval, sans avoir à choisir de ne renseigner que l’un des deux.

Si Wikidata permet de faire cela, c’est d’une part grâce à la structuration en graphes RDF, et d’autre part, parce que l’usage de cette base de connaissances est très souple : tout internaute enregistré peut proposer la création d’une nouvelle contrainte (par exemple, le fait qu’un cheval indiqué comme gris doit avoir au moins un parent lui-même gris). 

Une galerie de Percherons dans Wikidata

Avant de reconstituer une information généalogique intéressante par son ampleur, il a fallu créer des centaines de nouvelles entrées dans Wikidata pour des individus de cette race. Cela est en bonne voie grâce à l’aide très précieuse de Florian Cuny (Poslovitch).

Parmi ces centaines de Percherons, certains ont des pages de données mettant en lien leur information généalogique avec leurs représentations visuelles.

L’exemple ci-dessous est l’une des plus anciennes illustrations d’un Percheron identifiable individuellement (pour voir les sources de l’illustration, se référer à Jean-Léo Dugast, L’épopée percheronne, p. 29)

La possibilité d’avoir des éléments illustrés dans Wikidata est une autre plus-value par comparaison à de nombreux systèmes d’information généalogiques équins actuels, qui me permettent généralement pas d’héberger des illustrations ou des photographies des chevaux associées à des données structurées. Dans l’exemple de Duke de Chartres, et toujours pour rester sur l’exemple de l’information “couleur”, son portrait montre très clairement qu’il est gris. Si l’information généalogique l’avait indiqué d’une autre couleur de robe, la mise en lien avec l’image pourrait là aussi permettre de résoudre une erreur dans les données.

Même si les chevaux vous ennuient profondément (pourquoi lisez-vous donc ce carnet ? ;-)), ce travail permet avant tout de mettre en lumière la puissance de Wikidata et des communs numériques de l’écosytème Wikimédia pour centraliser des données éparpillées et remonter des erreurs potentielles, ou pour déduire de nouvelles informations grâce à la mise en lien de plusieurs sources de données. Il montre aussi les avantages du modèle en graphes RDF en matière de conservation de sources de données contradictoires en vue de déductions d’informations.

Un arbre généalogique sur 200 ans, reconstitué pour la première fois

Un arbre généalogique de la race percheronne a été reconstitué à sur Wikidata, à partir de données publiées dans des ouvrages du domaine public pour les plus anciennes (imports depuis la base Gallica) et dans des bases de données généalogiques participatives ou propriétaires pour les plus récentes (base Infochevaux de l’Institut français du cheval et de l’équitation), en partant du plus ancien ancêtre fondateur connu (début du XIX^e siècle), pour arriver jusqu’à nos jours : 

• Visualisation sous forme de graphe : cliquer ici
• Visualisation sous forme d’arbre : cliquer ici

C’est la première fois qu’un système d’information met en lien des percherons modernes avec leur plus ancien ancêtre connu. Il est cependant important de signaler que ces données restent incomplètes, et que les créations d’entités n’ont pas été effectuées aléatoirement, mais en fonction de la possibilité de mettre en lien chevaux anciens et récents. Ce graphe ne reflète donc pas encore fidèlement la structure généalogique du Percheron, ni ne permet de calculer la consanguinité réelle chez cette race.

C’est l’élevage portant l’affixe “de la Vande” qui a été choisi pour illustrer les données généalogiques modernes des percherons modernes, grâce à la bonne complétude des données généalogiques de l’étalon américain Silver Shadows Sheik.

Le graphe permet déjà de repérer les principaux étalons percheron influents sur les chevaux modernes : Coco II 714, Brillant 756, son fils Brillant 755 (nœuds à gauche du graphe ci-dessus), et Laet (nœud au milieu du graphe).

Six fameux mâles percherons sur Wikipédia

Six articles ont été créés sur Wikipédia en français pour des chevaux Percheron admissibles dans cette encyclopédie participative, au regard de leur importance historique, et deux ont reçu le label de Bon Article : 

1. Jean le Blanc, l’ancêtre fondateur semi-légendaire de la race du Percheron (1824 – 1856)
2. Brillant 755, le plus célèbre reproducteur du XIX^e (1876 – 189X)
3. Prince Chaldean, l’artiste de cirque (1877 – 189X)
4. Voltaire, le plus représenté dans les arts (1880 -1885)
5. La Ferté, un célèbre reproducteur (1881 – ?)
6. Laet, l’étalon le plus influent du XX^e siècle (1916 – 1936)

Ce fut aussi l’occasion d’une mise à jour de l’article du Percheron sur Wikipédia en français, déjà labellisé comme Article de qualité en 2011.

Cette information encyclopédique vient utilement compléter la partie des données généalogiques gérée dans Wikidata.

Une galerie de percherons sur Wikimédia Commons

Une quarantaine de documents iconographiques ont été importés sur Wikimédia Commons, et mis en lien avec des chevaux individuels quand cela était possible. Mon travail de thèse n’étant pas centré sur l’iconographie, je vous renvoie plutôt aux ouvrages Jean-Léo Dugast si l’une de ces illustrations vous interpelle particulièrement :

https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:History_of_Percheron

Ces imports d’illustrations sont essentiellement centrés sur la possibilité de mettre en lien la représentation d’un cheval avec ses informations généalogiques : l’association données / images peut permettre de déduire la “bonne” information dans un contexte de parenté douteuse, ou de renseignement parcellaire de couleur de robe.

Et le stud-book percheron sur Wikisource

Pour compléter ce travail 100 % wikimédien, le premier volume du Stud-book percheron, publié par la Société hippique percheronne de France en 1883, a été importé sur Wikisource grâce à Florian Cuny (Poslovitch) :

Ses entrées sont très structurées, ce qui permettra à terme un import de masse et une création automatique de tous les chevaux répertoriés dans ce stud-book, et n’existant pas encore sur Wikidata. Il reste cependant beaucoup de travail de nettoyage de texte à effectuer, avant d’envisager cet import de masse.

L’écosystème Wikimédia, parfait pour une gestion globale de l’information généalogique

J’espère, à travers cet exemple portant sur le Percheron, avoir pu montrer à quel point les projets Wikimédia offrent un écosystème permettant de gérer de l’information généalogique animale sous toutes ses dimensions (historiques, iconographiques, encyclopédiques…), jusqu’à permettre de nouvelles modalités de détection d’erreurs dans ce type d’information (comparaison iconographie / texte, détection automatique via des création de contraintes basées sur des lois génétiques, etc), de façon plus souple que sur des bases de données propriétaires publiées sous des licences fermées. J’espère aussi avoir démontré les avantages du modèle en graphes RDF en la matière.

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